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On commence par une petite perle qui m’a valu des heures et des heures de travail

https://medium.com/@jencoates/i-am-a-transwoman-i-am-in-the-closet-i-am-not-coming-out-4c2dd1907e42#.brsvp4x52 , par Jennifer Coates pour la version originale.

Je suis une femme trans. Je suis dans le placard. Je n’en sortirai pas.

Note : Wow, j’ai écrit ça de façon anonyme et privée et n’avais pas l’intention que qui que ce soit le lise. C’était une façon de faire sortir ma frustration sans prendre de risque. Je ne l’ai pas tweeté ; je ne l’ai pas publié ou partagé. Quelqu’un l’a trouvé et l’a répandu, et pas de souci, mais ce que vous lisez est essentiellement un bout de journal intime.

Si vous êtes trans et dans le placard ou que vous pensez que vous l’êtes, NE PRENEZ PAS mes décisions comme conseils – elles sont basées sur mon expérience. Faites vos recherches et parlez à d’autres femmes trans, enrichissez-vous de leurs expériences aussi. Transitionner aide beaucoup, beaucoup de gens, et vivre en se cachant peut être beaucoup plus préjudiciable. Disons que c’est une des nombreuses histoires que vous pouvez recueillir.

Rancoeur sur le thème « une vraie femme trans est une femme trans out ».

Voici des bouts de l’histoire. Ce n’est pas tout mais c’est plus que toute l’intimité que j’ai déjà pu sacrifier.

J’ai six ans.

Je me réveille d’un rêve ou je suis une fille, mon coeur s’accélère, mon estomac est retourné. Je ne suis pas malade de dégoût ; je suis malade de honte. Ce n’est pas la première fois que je fais ce rêve, cependant c’est un de mes premiers souvenirs. J’ai l’impression (même si je ne comprendrai la métaphore que des années plus tard) que j’ai accidentellement projeté mon historique de recherche le plus intime avec un câble HDMI devant toute une classe. J’ai l’impression que d’une façon ou d’une autre j’ai été découverte – comme si le monde entier avait regardé mon rêve dans leur sommeil la nuit dernière. Mais j’ai envie de le refaire. J’ai six ans et je crois en Dieu, donc je prie pour le refaire encore, ce qui -forcément- arrive.

Quand la corrélation rencontre le lien de causalité. Pas très rigolos tous les deux.

J’ai sept ans.

A l’école nous étudions un chapitre sur un garçon qui se change en fille. Mon coeur palpite jusqu’à ce que je le sente dans mes dents, et j’ai l’impression que tout le monde me fixe. Bien sur que non. De retour à la maison, je fixe la couverture, qui montre un garçon regardant dans un miroir qui reflète une fille qui le regarde, et je pleure.

J’entends parler d’une terrible superstition où si tu vois une étoile, tu fais un voeu et il se réalise. Quasiment toutes les nuits je me faufile hors du lit et je contemple à la fenêtre, faisant des voeux sur toutes les étoiles que je peux voir, juste pour être sûre. Depuis toujours une adepte de la pensée magique, je me dis que si je fais un voeu mille fois, je me réveillerai avec des longs cheveux dans un pyjama tout mignon et un nom différent – et peut être des taches de rousseur. Mille, pour moi, c’est tellement un nombre énorme que le comité cosmique -qui écoute toute la nuit les voeux désespérément chuchotés- ne pouvait pas me rater. J’aurais souhaité être une fille, je me dis encore et encore (démontrant une forte utilisation du futur antérieur). Et bientôt je chante le titre « The Farmer in the Dell » (Le Fermier du Vallon). J’en rigole, tout haut, et c’est comme s’il y avait deux moi assis réveillés dans mon lit -moi, menottée dans mon pyjama baseball et moi dans ma chemise de nuit bleu pervenche que j’aime tant dans Wendy Darling.

Je sais que le film avec le criquet chantant n’est pas celui de Wendy Darling. Ne soyez pas pédants, j’ai sept ans.

J’ai huit ans.

Mes personnes préférées sont -et le seront jusqu’à la fin de ma vie- des filles -mes enseignantes, les amies de ma mère, mes camarades d’école. Les garçons sont souvent brutaux et ils ont des crottes de nez. Un doigt sombre procède à une examination de mon genre par ma narine. Quand je joue aux jeux vidéo en privé, je choisis un personnage féminin. Quand ça me paraît sûr, j’utilise un nom de fille. J’aime beaucoup “Kimberly”, parce que Kimberly c’est le Power Rangers Rose.

Quand je veux faire des soirées pyjama chez mes amies, on me dit que je ne peux pas. Les garçons ne peuvent pas. La mère de mon amie Caitie utilise cet argument au téléphone avec ma mère. Je me rends compte que ma mère n’est pas de mon côté.

Plus tard, ma mère me dit que la maman de Caitie est divorcée, a un tatouage, et dort dans un lit à eau, la pertinence de cela reste floue. Je trouve la maman de Caitie super.

J’ai neuf ans.

J’aime tout ce que ma soeur aime, mais je ne l’admettrai pas. Je sais qu’elle et ses amis vont se moquer de moi. Je sais que mes parents vont me punir et me corriger. J’apprends les règles, et j’apprends que c’est un énorme péché pour un garçon d’aimer les choses de fille. J’apprends que les adultes réagissent de la même façon à mon intérêt pour le maquillage, qu’à celui pour les allumettes et les briquets.

Comme si, en étant ce que je suis, j’allais incendier quelque chose d’important pour eux. Quelque chose qui rend leur vie beaucoup plus confortable et facile.

Je suis jalouse de la garde-robe de ma soeur. Un jour, seule à la maison après l’école, je me faufile dans sa chambre et enfile son déguisement de Fée Clochette d’Halloween. Je glisse les élastiques autour de mes épaules, puis les collants sur mes jambes. Ça me va. J’ai l’impression que mon coeur est le poing de quelqu’un d’autre coincé dans un lac gelé, tapant la surface par au-dessous. Comment quelque chose peut être aussi merveilleux et pitoyable en même temps ? Je n’ai pas l’impression qu’un poids se soit soulevé – j’ai l’impression d’en avoir soulevé un pour en ajouter un autre. Je cours dans ma chambre et cache le déguisement sous mon matelas. Plus tard, je le ramènerai dans la chambre de ma soeur.

Ce n’est pas la dernière fois que je fais ça. Il n’y a pas de dernière fois.

J’ai dix ans

Je regarde la télévision tous les soirs après l’école. Je suis attirée par la science-fiction et les fausses émissions sur le surnaturel. Dans ces émissions, il y a des méchants qui peuvent se métamorphoser en un autre corps, ou silhouette. Il y a des machines qui peuvent échanger le cerveau des gens. Même dans les émissions les plus réalistes il y a les scénarios de Freaky Friday où frère et soeur se cognent la tête et apprennent comment la vie de l’autre est difficile. J’ai du mal à comprendre pourquoi le frère ne se jette pas à genoux en remerciant Dieu de ce cognement de tête.

Spoiler : Il s’avère que leurs vies sont pareillement difficiles pour des raisons différentes! Ce qui est un confort et un soulagement pour les auteurs qui auraient presque eu à imaginer une vie non-égalitaire régie par le chaos, le patriarcat, et la contradiction au lieu de quoi : magie, consistance et solutions narratives.

J’ai onze ans

Je suis dans une chambre d’hôtel à regarder Maury Povich. Un alignement de belles femmes défile et on doit deviner lesquelles sont “réelles” et lesquelles sont “transsexuelles”. Je ne connais pas ces mots. Je ne comprends même pas vraiment ce que veut dire “gay”. Je suppose que “transsexuels” a quelque chose à voir avec “gay” mais ça ne m’agace pas. A la place, pendant que la machine à café gargouille un liquide âcre, je sens se réveiller un espoir intérieur. Ça coûte combien de rester sur une chaise et d’allumer l’interrupteur ? Ça fera mal ? Je m’en fous. Ça vaut toutes les peines.

J’ai douze ans

Je regarde une cassette VHS en cours de santé, mise par une enseignante remplaçante malgré elle qu’elle a  prise une sur la pile. C’est un documentaire d’intérêt humain des années 90, enregistré à la télévision. C’est à propos des personnes appelées “transsexuelles”, et qui adoptent les code faciles à digérer, “binaires-nés-dans-le-mauvais-corps”, qui resteront encore en vogue pour une autre dizaine d’années. Les personnes du documentaire ne sont pas les belles, souriantes Hawaïennes de Maury Povich. Elles sont fatiguées. Vieilles. Viennent du Midwestern. Le documentaire explique la vaginoplastie. Le journaliste utilise des mots comme “le chirurgien tente” et “dilater” et “sauvetage”. Comme “hormones” et ”ostéoporose”. J’ai peur des aiguilles; j’ai peur des médicaments; j’ai peur des scalpels; j’ai peur des hôpitaux. Le journaliste parle d’un “long parcours avant la récupération”. Je me rends compte qu’il n’y a ni chaise ni interrupteur. Je me rends aussi compte que je ne comprends pas tout à fait la douleur. Les vieilles Hawaïennes fatiguée venant du Midwestern nées hommes ont fait pousser leur cheveux et portent des robes. Elles ont l’air d’être heureuses.

Encore aujourd’hui, il se passe seulement deux jours sans que j’y pense. Je lis des histoires à propos de filles fortes et aventureuses jusque tard la nuit pour ne pas avoir à penser à mon corps sous les couvertures.

J’ai treize ans

Internet est arrivé et j’ai appris avec un certain soulagement qu’il y a, au moins pour le moment, une maladie appelée Trouble de l’Identité de Genre. Je ne sais pas avant la décennie d’après que des guerres seront menées à propos de comment m’appeler – ni que ça se passera sur ce même internet, où je vais pour imprimer des photos de filles, mes parents pensent convenablement que ce sont des filles sur qui je crush.

Je crée un faux pseudo sur AOL Messagerie Instantanée et dis à mes amis à l’école que je suis ma propre copine, Jennifer, qui habite à quelques kilomètres d’ici. J’utilise ce nom plus souvent que le mien. Jennifer fait tout ce que je fais et tout ce que je n’ai pas le droit de faire.

Je développe un trouble de l’alimentation.

J’ai quatorze ans

Je commence à m’intéresser à la programmation, ce qui paraît être le signe le plus évident jusque là.

Quand j’aide mon père à construire des choses, il me dit que je suis fort. J’ai l’impression de gagner et de perdre quelque chose en même temps.

J’ai quinze ans

Je déménage sur la côte est, dans un état qui à la fois est et n’est pas le Sud, et entre dans un pensionnat pour garçons. Je hais l’idée de passer tout mon temps avec des garçons. Les garçons sont immatures. Les garçons sont hypersexuels. Les garçons sont violents.

Je me douche en pleine nuit. Quand les douches communes sont vides. Plusieurs fois je suis agressée à cause de ça. On tire sur mon pénis. Le doigt d’un joueur de football conquiert mes fesses fermées en me demandant si je suis gay, si c’est pour ça que j’ai peur de me doucher avec tout le monde. Ce ne sont pas mes pairs.

J’ai seize ans

Certains sont mes pairs. Je rencontre des garçons qui aiment lire. Je rencontre des garçons qui ont aussi de terribles secrets. Je rencontre des garçons qui sont d’accord avec moi sur le fait que c’est dur d’être un garçon, bien qu’ils ne l’entendent pas de la même manière que moi. Nous ne sommes pas fiers d’être des garçons, mais nous nous amusons ensemble. On lance des pierres dans des étangs et on a des disputes de gamins de seize ans sur le voyage dans le temps. On vole des capotes au supermarché. On se fait battre parfois. On regarde Fight Club et on se bat recouverts de couches de chaussettes sur nos main pour faire comme des gants de boxe. On se frotte le ventre- même les joueurs de foot. On se faufile dans les chambres des uns des autres tard la nuit pour se raconter des histoires. On télécharge des épisodes de Blue’s Clues sur LimeWire sur un coup de tête et on finit par s’héberger mutuellement chaque semaine pour des séances de visionnage, parce qu’on s’apprécie vraiment. On ment sur nos expériences sexuelles, mais on écoute extasiés nos mensonges comme s’ils contenaient des morceaux de vérité, des veines de quartz sexy. Certains des garçons sont hétéros et d’autres sont gays- j’en embrasse quelques un de chaque. Je me rends compte que je n’aime pas les garçons de la même façon que j’aime les filles, mais je les aime quand même. Je me demande ce que ça veut dire – si le fait que préférer les filles est un élément clé de mon enfance de garçon.

Un des garçons, qui vient de Corée, se fait circoncire à seize ans car la fille qui l’a emmené au club Sadie-Hawks se moque de son pénis naturel.

J’ai dix-sept ans

Les filles commencent à penser que je suis un garçon mignon. Je commence à penser que je suis une fille moche.

J’ai dix-huit ans

Laura Jane Grace fait son coming out. Dans le magazine Rolling Stone, elle raconte son enfance passée à prier Dieu “Cher Dieu, s’il te plaît, quand je me réveille, je voudrais un corps de femme”. D’autres fois, elle prie Satan : “ Je promets d’être une tueuse en série pour le reste de ma vie si tu me fais devenir une femme”.

Je suis à la fac. J’apprends que des gens demandent à utiliser d’autres pronoms. Je vois comment ça me fait réagir dans ma tête. Ça ne fait pas vraiment de différence. Je veux toujours m’asseoir dans cette chaise et allumer l’interrupteur. Les pronoms c’est le cadet de mes soucis.

Je visite une université pour femmes. Je suis entourée par de nouvelles femmes et on se sent instantanément à l’aise ensemble. J’attends un cours. Le haut-parleur hurle “qui a le droit d’être une femme ?” et la foule de femmes cis répond “quiconque le veut! ”. L’idée est agréable, mais je pense aux années passées à regarder par la fenêtre les étoiles et je me sens tout à coup mal à l’aise.

Plus tard pendant le voyage, j’ai une conversation avec mes nouvelles amies sur la féminité. Elles s’expriment clairement et elles sont intelligentes. Je suis reconnaissante d’être parmi elles. Jusqu’à ce que l’une d’elles me dise, énervée, que je n’ai pas vraiment le droit de parler de féminité parce que je suis un garçon cis het. Ce n’est pas mon territoire, ce n’est pas ma place. Je devrais la fermer et écouter. Ces gens sont-ils mes pairs ?

Je ne la corrige pas. Je ne corrige jamais personne.

On me dit qu’il y a quelque chose de spécial – d’ineffable- à propos de l’amitié féminine. On me dit que je ne peux pas comprendre une telle expérience. Elles disent que n’importe qui peut être une femme – est-ce vrai ? Ça dit quoi sur mon amitié avec les filles ?

Je commence à envisager ce que je pourrais être, si ma féminité ne compte pas, simplement parce qu’elle n’est pas confessée ouvertement. Je pense à ma masculinité – à mon enfance et à mon adolescence- comment mes expériences de garçon ont dévié de ce à quoi je m’attendais. Je change ma majeure et passe une année à écrire sur la masculinité féminine qui ne s’identifie pas comme gay d’après l’aesthetic de la fin des années 1880 aux stars de radio de Vaudeville.

Finalement, comme une lettre d’amour/haine des films des années 80, 90 et début des années 2000 ayant pour thème le passage à l’âge adulte, je fais ma thèse sur l’amitié et la sexualité des hommes Américains et sa représentation à la télévision et au cinéma. Un des retours que je reçois  “j’en ai tellement marre des garçons qui écrivent sur les garçons”.

Je pense au fait qu’on me dise que je n’ai pas le droit de parler de féminité. Je me demande de quoi une personne comme moi a le droit de parler.

Un des garçons du pensionnat, qui a commencé à se doucher avec moi tard la nuit, celui qui m’a dit les dents serrées qu’il était trop maigre ou trop gros, se jette sous un train.

J’ai dix-neuf ans

Je suis dans un cours d’étude des genres. Je suis toujours ahurie que le sujet qui m’obsède, que j’ai étudié de façon obsessive, sur lequel je lis depuis que ma vie a commencé, soit maintenant un truc que mes amis veulent voir en cours.

On me dit que la masculinité existe en opposition à la féminité, et que c’est toxique, sans équivoque. Je pense aux “mentors” mâles et cruels qu’on m’a assignés pendant ma vie, je pense aux joueurs de foot en pièces détachées, et des centaines et des centaines d’autres choses.

Je pense aussi aux hommes mentors bons et dévoués qui m’ont trouvée. Et je pense aux garçons avec qui je suis restée éveillée tard à raconter des histoires. Et aux garçons que j’ai embrassés. Et aux garçons qui m’ont soutenue. Et aux garçons que j’ai supportés. Et à des centaines et des centaines d’autres choses. Et je pense à moi.

Je lève la main et timidement, soigneusement, je montre mon désaccord. Je sais de quoi ça a l’air.

Ma professeure lève les yeux au ciel. Le reste de la classe est constitué de femmes cis; elles rient. Les bonnes qualités dont je parle sont en fait de la féminité, m’expliquent-elles.

Je dis que crier que le sacrifice et la gentillesse sont des valeurs féminines que les hommes empruntent c’est comme dire que ce sont des valeurs Juives que les Bouddhistes empruntent.

Une des étudiantes me dit que je ne peux pas être objective à propos de la masculinité car je suis un homme cis hétéro, et que je devrais la fermer et écouter. Ces gens sont-ils mes pairs ?

Je ne les corrige pas. Je ne corrige jamais personne.

C’est intéressant de voir que quand de gens insistent sur la proximité entre deux sujets, ça les rend informés, et que là où d’autres insistent, ça les rend les biaisés. C’est intéressant qu’ils pensent que la décision leur appartient.

Je prends un cours sur la médicalisation et la pathologisation des identités trans, notamment parce que ça affecte le développement des législations et les bénéfices des employés.. J’aime ce problème parce qu’il est compliqué. C’est un problème pratique qui demande une délimitation entre “devrait être” et “est” Il y a deux côtés et d’importants facteurs dans les deux. Etre ouvert d’esprit c’est accepter la liminalité.

Liminalité devient mon mot préféré

En anthropologie, liminalité (du latin limen “seuil”) est une qualité d’ambiguïté ou de désorientation qui arrive au cours d’une étape d’un rituel, quand les participants n’ont plus leur statut pré-rituel mais n’ont pas encore commencé leur transition vers le statut qu’ils obtiendront lorsque le rituel sera complété…

J’ai vingt ans

Je regarde Hedwig & The Angry Inch pour la première fois. A la fin du film, Hedwig est nue et sans perruque et mouillée -un corps androgyne, ni féminin ni masculin. On donne au pote de Hedwig, Yitzhak, joué par la belle Miriam Shor à la mâchoire carrée et avec une barbe synthétique, une perruque et une robe. Elle fait de son mieux pour ressembler à un homme longtemps privé de féminité, à qui une trève est enfin accordé. Je ne peux pas prétendre qu’elle est un homme, mais je pleure à chaque fois que je vois cette scène.

Ca fait aussi un an que je vais à des shows de drag queens, sur le campus et autour de la ville. Ce n’est pas… tout à fait bien, mais c’est plus proche du bien. je pense à comme je me sens mieux maquillée – et comme je me sens mal avec du maquillage.

Je ne peux pas, comme le font tellement de femmes différentes, prétendre croire que les hymnes à la beauté, au sans défaut, de Beyoncé parlent de moi, ou sont pour moi.

Ce qui est très bien. Je n’ai pas besoin qu’ils le soient.

Laura Jane Grace sort “Le Blues Dysphorique Transgenre” et ma poitrine se gonfle comme une seule et unique voix solitaire. Mes amies cis het me regardent de travers quand je l’écoute et me rappellent que “ce n’est pas une super chanson – c’est une chanson avec un message”.

Je deviens une fan ardente de Eddie Izzard, qui se décrit comme un “homme lesbien”. Bien que beaucoup l’accusent de transmysoginie intériorisée -qu’il a peur de se dire lui-même trans- j’admire au moins son rejet constant des essais de réduire son identité en une taxonomie universelle que les autres décident. J’admire sa concentration. J’admire son courage quand il s’habille sur scène. Je respecte son avis quand la télévision le force à mettre un costume. J’admire son envie d’être quelque chose de déroutant. Je ne pense pas que l’on soit pareil mais je pense qu’on en arrive tous les deux aux mêmes conclusions.

Certaines nuits, toujours seule, je sors avec un maquillage de bric et de broc et des vêtements de femme avec une carte d’identité que j’ai trouvée dans un portefeuille perdu. Je ne me sens jamais plus homme que lors de ces nuits-là.

Il fait sombre. Je porte des collants. Je vais m’asseoir dans des bars et je bois seule. Beaucoup de ce qui arrive est ce à quoi l’on pourrait s’attendre. Quand tu n’as pas de passing, tu es injuriée. Quand tu as un passing, il se passe exactement ce à quoi l’on peut s’attendre pour une femme seule dans un bar. Je n’ai aucune vision toute rose de ce qu’est une vie publique de femme -qu’elle soit trans ou cis.

La dominance du “né-dans-le-mauvais-corps” décline. Le genre fluide gagne en popularité. Les identités agenres et non-binaires sont explorées et catégorisées sur tumblr.  Je me sens terne face à ces belles personnes mavériques, habillées en veste en jean, avec un noeud papillon et un undercut, parce que l’ennuyeuse histoire binaire des nés-dans-le-mauvais-corps des années 90 est celle qui me va le mieux, même après tout ce temps. Je l’ai toujours su. C’est le première chose que je me souviens avoir su.

A vingt ans, j’ai enfin dit à quelqu’un -une amie de longue date et copine trans- le combat de ma vie que l’on appelle maintenant dysphorie de genre. Je me demande comment ce sera appelé dans cinq ans. L’histoire de mon amie est différente de la mienne – elle n’a jamais envisagé qu’elle était née dans le mauvais corps- mais ça fait du bien de connaître quelqu’un qui comprend, au moins un peu, tout ça.

J’ai vingt et un ans

L’humour misandre est à son comble et flirte avec le cissexisme. Au fil des tweets joyeux de femmes cis sur comment les femmes sont plus belles que les hommes – comme le corps féminin est plus gracieux, et comme celui des hommes n’est qu’utilitaire. Comme les seins sont cools. Comme les hommes n’ont aucun goût en matière de vêtements. Comme ils sont incompétents émotionnellement. Comme ils sont trop faibles pour supporter un accouchement et les règles. Les neckbeards sont le fléau d’internet. La rhétorique à deux balles est ravivée par des niveaux d’ironie incohérents. Le meme gospel dit que les pénis sont justes de très mauvais clitoris.

Je n’ai pas d’opinion là dessus. Je ne sais pas où est ma place. Ces gens sont-ils mes pairs ?

Est-ce que je pense vraiment qu’une perruque et un pronom vont changer comment je me sens, tout au fond ? Avec mon corps ? Avec mes chromosomes ? Avec ma “socialisation” ? Non. Je voudrais, mais non.

Ils peuvent croire qu’ils contrôlent leurs ressentis sur qui est intelligent, qui est fort et raisonnable, et qui est nul et faible et dangereux, que ce sont des exagérations modérées et conscientes et bien pensées. S’ils me voyaient nue et sans perruque et mouillée, ne serais-je pas l’objet de moqueries sur les pénis ? Sur les neckbeards ? Sur le fait d’être un homme ? Sur qui a le droit de parler de féminité ? Ils liront et se diront “non”.

Dans les années 90, les femmes cis ne se sentaient pas à l’aise avec un trombone animé parce qu’il “ressemblait à un homme”.

Sur le même Internet où je demandais à Jeeves “qu’est-ce qui ne va pas chez moi?”, j’ai maintenant beaucoup de disputes sur le genre. J’ai toujours été révoltée par mes poils mais je n’ai jamais pu les raser. Même si je pouvais raser les poils de mes jambes sans faire lever de sourcils, ils repoussent épais tout de suite. Je parle à une amie féministe cis du fait que je ne trouve pas cool de parler des “neckbeards” de façon péjorative. Je pense que c’est hypocrite. Je lui dis que j’en connais des magnifiques, tendres, réfléchis et humains. Je connais aussi des personnes qui sont complexés par leurs poils de cou et ne peuvent rien y faire. Je me demande s’il y a des façons de critiquer les gens sur leur caractère sans s’attaquer à leurs poils. Elle pense que j’use de mecsplication. Elle pense que je lui sors du “Pas-tous-les-hommes”. Elle dit aussi que je ne peux pas comprendre les standards de beauté imposés aux femmes. Comme si je n’avais pas passé des années au dessus des toilettes, à me sentir malheureuse du fait que même si j’étais assez fine, je ne serais jamais assez fille.

Bien sûr, elle ne peut pas connaître mon histoire, mais mon histoire n’est pas ce qui rend vrai ce que je disais.

Je lui propose, après des paragraphes de dispute aux arguments branlants, inutiles et stressants, qu’il y a beaucoup de dimensions concernant le casse-tête qu’est la pilosité. Quand tu es cis et que tu ne te rases pas les jambes, certains vont penser que tu es une féministe dégueulasse et certains vont penser que tu es une féministe badass. Tu as le privilège de pouvoir expérimenter avec tes poils parce qu’à part ça ton identité et ton statut de femme sont clairs, contrairement aux femmes trans.

Bien sûr elle ne peut pas savoir toutes les fois où j’ai pleuré à cause de la puberté quand mes poils aux jambes ont commencé à pousser – je me sentais démunie parce que je ne pouvais même pas les raser.

Mais mon histoire n’est pas ce qui rend vrai ce que je disais.

Ils peuvent te traiter de tous les noms mais ils ne te forceront jamais à aller dans les mauvaises toilettes. Le château de cartes que tu as construit pour faire oublier aux gens ce qu’ils pensent que tu es ne s’effondrera pas. Tu es sauve, là où certaines personnes ne le sont pas.

Quand tu es trans et que tu ne te rases pas les jambes, c’est comme une évidence pour tout le monde -même pour les alliés dans leur subconscient sombre et non adaptable- que tu n’es pas vraiment une femme. Parfois même pour toi-même.

Elle est furieuse. Elle me dit que je suis un homme hétéro cis het et que je dois la fermer et écouter. Mais ce après quoi elle est vraiment furieuse c’est qu’elle est contredite par quelqu’un qui, selon son profil facebook, a un niveau plus bas que le sien sur le plan intersectionnel .

Le privilège d’une personne peut être une explication de ses croyances tordues, si ses croyances sont vraiment tordues. Ce n’est pas la preuve de croyances de merde. Ceux-là ont tendance à agir comme… des merdes. Si quelqu’un dit à cette fille cis qu’elle prend pour acquis un privilège que les filles trans n’ont pas, pourquoi l’instinct de cette fille cis est d’investiguer l’identité de cette personne pour voir si elle peut la discréditer et ne pas avoir à penser d’un autre point de vue ? Ne répondez pas à ça. On connaît déjà la réponse.

Une autre fois, je fais une blague à propos d’un auteur dont je ne pense ne pas qu’il soit un auteur génial. On me dit que je ne peux pas faire de blagues sur cet auteur, parce que c’est un auteur qui a beaucoup de fans féminines -son travail est vu comme un intérêt féminin. On me dit que je ne le respecte pas parce que c’est un travail féminin, et que j’adule surement Bukowski et Kerouac. Elles ne savent pas que j’ai grandi en lisant cet auteur. On me dit que je ne comprends pas ce que c’est que de grandir en se sentant honteuse de ses intérêts parce qu’ils sont féminins.

J’ai envie de crier.

J’ai envie de vomir les stickers Lisa Franck que j’avais mis sur mon bureau en CE1 et que j’ai mangés, dans la panique, pour cacher les preuves.

Sur Facebook, la fille qui parle de mon enfance -sur comme je n’ai jamais eu à être honteuse de mon identité- a posté une photo d’elle petite, déguisée en Clochette, aux côtés de ses parents, souriants.

A cause de mon trouble de l’alimentation, je perds mes cheveux. Je pense à l’horreur de devenir chauve -une perte permanente de vitalité. Je pense à comment ça détruirait la faible androgynie qui est mon seul confort dans ce corps. Je pense à ma grand-mère, chauve à cause du cancer, et ce que ça lui a fait. Et j’entends mon amie cis fièrement misandre qui se moque des hommes chauves comme si c’était un défaut ou une décision des hommes eux-mêmes. Les hommes chauves lui font penser aux pédophiles à la télé. Les hommes chauves leur font penser aux auteurs, improvisateurs désespérés, qui ne se refusent rien. Je vois des hommes dans le train qui perdent leurs cheveux, leur jeunesse, leurs options, et je compatis. Ce n’est pas drôle. C’est un cauchemar dysmorphophobique pour n’importe qui. Je ne prends pas la peine de mentionner que je  trouve les blagues déplacées. Je sais ce que les filles vont dire.

Mais je sais que je ne suis pas hétéro, ou cis, ou un garçon.  Je ne suis rien d’aussi simple que ça. Je suis une fille qui a enduré beaucoup de merdes et qui a grandi en symbiose avec son costume de garçon. Mais ce que je sais d’autre c’est que mon avis est mon putain d’avis. Est-ce que je veux ne serait-ce que convaincre quelqu’un qui ne m’écoutera que lorsqu’il découvrira que je suis une fille ?

Dois-je m’outer pour être traitée comme une personne digne d’être écoutée ? Pour faire arrêter mes camarades de classe cis de se moquer de quelqu’un qui franchit les limites de la masculinité et de la féminité dans des dimension qu’elles n’ont jamais envisagées ? Ai-je besoin de leur permission pour parler ?

Je ne sais vraiment pas.

J’ai vingt-deux ans

Un étudiant dans ma classe de performance artistique accroche un cadre de miroir vide au centre de la pièce et tout le monde doit former des paires sujets et reflets. Une fille de ma classe duplique mes mouvements parfaitement quasiment sans aucun délai. Je regarde dans le miroir et je vois son visage et ses taches de rousseur – je bouge ma main et vois ses ongles vernis. J’ai un violent vertige et je dois quitter la salle de classe. Je pleure beaucoup, en sanglots agités dans les toilettes des hommes et reviens vingt minutes plus tard. Le cours est fini.

J’ai vingt-trois ans

Ce à quoi je ressemble, c’est cela : un garçon. Un garçon qui a hérité de plus de pilosité qu’il ne peut combattre, même aux endroits où c’est toléré. Un garçon que beaucoup de femmes cis regardent et à qui elles disent : “tu ressembles à Mac DeMarco haha” (oui), “je parie que tu lis Jonathan Franzen” (non), “je parie que tu aimes Breaking Bad” (ça va), “je parie que tu es un allié féministe auto-proclamé mais que tu ne lis pas d’autrices” (dégage).

Ces femmes m’ont expliqué, avec une rage pharisaïque, avec arrogance et dédain, ce qu’est une femme trans.

Une partie de moi veut qu’elles voient mes livres -où sont les ratures, les pointillés flous, quelles pages de quels livres ont été voilés par des larmes il y a dix ans de ça.

Mais une plus grande partie de moi ne les veut pas du tout près de mes livre ou quoi que ce soit qui m’appartienne.

J’ai vingt-quatre ans et je ne sais pas quoi faire. Sans réserve, j’adopte un féminisme intersectionnel. J’en ai besoin – nous en avons tous besoin. Mais ai-je envie de rejoindre ces cercles qui ne veulent pas de moi jusqu’à ce que je dévoile mes expériences les plus privées ? Qui vont me dire de me taire jusqu’à ce que je me mette à nu et parle de mes années de dissociation, de dysmorphie et de dysphorie ?

Ai-je besoin d’être inspectée et disséquée par les gens qui se sont moqués de moi quand j’ai reçu mon titre de compétence ?

J’ai maintenant vingt-six ans et je ne sortirai pas du placard en tant que trans, et je ne ferai pas de transition. En voici les raisons simples :

Parce que faire une transition a des répercussions sociales et financières auxquelles je ne peux pas faire face émotionnellement ou financièrement. Je ne veux pas être traitée comme si j’avais des os de verre par des amis cis bien intentionnés. Je ne veux pas qu’on me dise que je suis “si jolie” quand je déteste mon apparence. Ca ne me fait pas aller mieux. Ca me fait aller pire, et c’est presque impossible de faire taire les cis à ce sujet. Et je suis assez mal à l’aise avec le jugement haineux que je récolte quand je fais une incursion avec une présentation de femme seule dans la ville.

Il y a des pour et des contres monumentaux à être trans et out, et dans certains cas comme le mien, c’est équivalent. Je choisis de vivre ma dysphorie en privé et sans soulagement pour absorber l’inconfort des personnes cis délicates, afin que je puisse glisser à travers le monde plus facilement, sur un chemin mousseux de secrets et de mensonges. (Je suis fourbe, là. J’ai juste peur que ce soit de cette manière que vous le conceptualisez). Les personnes gay et trans font ça depuis des siècles. Il se trouve que je ne pense pas que le climat soit propice pour moi à être out et à l’aise. Mais je suis excitée et heureuse pour les enfants trans des futures générations. Jalouse d’eux, même. Peut être qu’il y aura une chaise et un bouton un jour.

Parce qu’il s’avère que transitionner n’est pas la réponse pour tout le monde -penser autrement est étroit d’esprit et prohibitif. Parce que pour certaines femmes trans, la féminité peut être asymptomatique -plus tu en es proche, plus tu as l’impression que tu ne pourras jamais l’atteindre. Je réalise que ce n’est pas un message inspirant, mais ce n’est que la vérité brute : certaines personnes gèrent la dysphorie mieux que d’autres. Quand tu la combats, elle riposte. Je suis pharmacophobe et diagnostiquée TOC. Je peux à peine prendre un NyQuil (médicament pour soulager le rhume) et une colique peut faire grimper ma pression artérielle. Je ne suis pas assez forte pour cette bataille. Je ne suis pas bien équipée pour transitionner.

Le mieux que je puisse faire pour moi-même c’est dépouiller -du mieux que je peux- mon identité de mon apparence et me focaliser sur d’autres choses. Ce n’est pas impossible ! Regardez ces Dust Bowl Folks -ils essaient juste de traverser le pays dans une guimbarde ! “Genre ?”, ils diraient, “je ne la connais pas!”

J’adore Laura Jane Grace, mais je n’ai jamais voulu être une rocker punk. Je ne veux pas servir de sujet pour briser la glace ou être une curiosité, et c’est ce que je serais dans ce monde, pour tellement de gens. Tout ce que je voulais être c’était Wendy Darling. je voulais être une fille banale avec une enfance banale . Je ne pourrai jamais revenir en arrière et demander à mes amis de me coiffer en soirée pyjama. Je ne pourrai jamais revenir en arrière et porter une robe au bal de promo. Je n’aurai jamais une enfance de petite fille. J’ai passé des années à essayer d’être en paix avec cette perte, et des fois je gère. On est humains. Rien n’est juste. Tant de gens se voient retirer des choses.

J’ai lu le #eggmode. Il y en a un qui présente avec bon coeur une perspective précieuse. J’ai vu des femmes trans utiliser “oeuf” de façon joueuse mais péjorative pour un temps de leurs vies, quand elles étaient encore en développement de représentations et d’idéologies -partageant des photos gênantes pré-transition et en portant la honte sur leur vie passée pour des décisions discutables d’esthétique. Même quand ça vient d’elles-mêmes, ça me touche, mais la façon qu’elles ont de gérer leur histoire est leur problème. Quand ça vise d’autres gens par contre, pour discréditer leur avis ou leur autorité sur leur propre identité, ça montre une suffisance et un caractère prescriptif que je n’aurais jamais attendu de la part de la communauté trans.

Imaginez une femme cis dire :

J’aimerais ressembler à ça mais non, et je ne peux pas. C’est nul et ça me fait vraiment me sentir mal si je broie du noir à propos de ça. C’est pour ça que je me focalise sur mon écriture – je préfère faire des choses. Investir et construire des choses qui ne sont pas mon corps m’aide à gérer ces problèmes de corps qu’on m’impose contre ma volonté.”

Elle n’a pas l’air d’avoir besoin de conseil sur comment son maquillage va en effet réparer son problème, hein ? Elle a l’air d’aller bien. Je suis elle et je suis trans. C’est tout.

J’apprécie les encouragements que je reçois d’amis trans, mais je rejette l’implication que transitionner est ma destinée. Mon cerveau, c’est mon cerveau -mon corps c’est mon corps. Ils ne vont pas bien ensemble,et j’ai choisi de dévouer mon énergie à y mettre un terme et à me focaliser sur d’autres choses, plutôt que d’essayer de changer mon corps. Je ne préconise pas cet avis aux autres personnes trans. ou je n’essaie pas de décourager qui que ce soit de suivre le chemin qu’ils sentent être le meilleur pour eux. J’admire et applaudis chacunes des personnes braves et souples qui peuvent faire les deux.

Maintenant -voilà les raisons compliquées, la plupart sont venues en écrivant les simples

Je déteste que la seule réponse efficace que je puisse donner à “les garçons c’est de la merde” soit “hé bien, je ne suis pas un garçon”. J’ai l’impression de trahir le garçon en pyjama baseball qui s’asseyait avec moi au lit pendant que j’essayais de trouver lequel je devais être, et les garçons que j’ai rencontrés et que j’aimais depuis l’intérieur de mon costume de garçon – qui croyaient parler à un garçon. J’ai l’impression de brûler l’histoire du corps nu assis sur le sol de la douche. Ce corps qui est allé au bal de promo avec un smoking carré mais qui convoitait les robes.

Parce que je ne suis pas un garçon, mais une femme qui a eu une enfance de garçon.

J’étais, et je suis faite pour vivre en tant que garçon, et je ne peux pas mettre de côté la perspective qu’elle m’a donnée et participer quand il est temps à faire plonger dans la colère un de ces enfoirés ignorants en les appelant des fuckboys pour leur dire ensuite que sa colère prouve bien qu’il est un fuckboy, ou humilier un mec avec une capture d’écran OKCupid parce qu’on a délibérément amalgamé les maladroits avec les menaçants pour pouvoir récolter quelques fav de solidarité. C’est n’importe quoi, putain. Ca a métastasé.

Plusieurs femmes trans m’ont dit, en privé, qu’elles sont mal à l’aise avec ces choses-là, mais elles ont peur d’en parler parce que les femmes cis leur feraient moins confiance et les aimeraient moins. “Je joue le jeu” me dit l’une d’elles, “parce que dans la communauté queer, les seules personnes qui défendent les garçons cis sont les garçons cis. Je ne veux pas faire une croix sur le fait d’être enfin vue comme une fille”.

Une autre dit “Je suis misandre parce que c’est une façon facile de gagner des crédits queer, mais quand j’y pense je me sens mal à l’aise”.

Avez-vous remarqué, quand un produit marqueté d’une façon inutilement genrée, le blâme change en fonction du genre ? Qu’un stylo rose fait “pour les femmes” est (et c’est bien sûr vrai) le travail de marketteux idiots et cyniques qui essaient de se plier d’une manière insultante à ce qu’ils pensent que les femmes veulent ? Mais quand ils font du yaourt “pour hommes” la masculinité fragile est soudain hilarante – Comment les mecs peuvent-ils manger du yaourt à moins que leurs pauvres petits cerveaux ne soient sûrs que ça ne va pas les rendre gay ? #MasculinitéFragile est scandée, avec une malice suffisante, aux hommes – pas aux marketteux.

Cette conclusion -très partagée- est le fruit d’un discours isolé. Je ne dis pas “ouvrez les vannes, laissez entrer les trolls de merde”. Je connais les trolls – ils ont essayé d’être mes amis, ils ont essayé de se glisser dans les espaces féministes sans aucune intention d’apprendre ou d’écouter. Je comprends qu’on ne fasse pas confiance aux hommes qui pérorent haut et fort sur les problèmes des femmes et refusent d’accepter qu’ils se trompent. Je n’encourage pas de faire confiance à quiconque aveuglément. Je plaide aux discoureurs : prenez en considération que ces insinuations ont des effets et essayez de les réduire, si votre priorité c’est vraiment de trouver la vérité dans un tas de mensonges patriarcaux boueux. Regarde bien si peut être tu dis et reproduis des choses surtout parce que ça sonne bien et te fais te sentir bien et que personne ne les conteste.

Ce ne sont pas des problèmes discursifs qui s’appliquent uniquement aux femme trans “sous couverture”, ce sont des problèmes discursifs en apparence seulement visibles pour une femme trans “sous couverture” forcée à adopter plusieurs points de vue.

Parce que ça m’intéresse de compliquer votre définition d’être un homme et d’une enfance de garçon. Je suis née dans cette ville de merde, remplie d’idéaux cassés et de machisme déplacé et de répression et il y a quelques bonnes personnes qui sont bloquées à vivre là. Ce n’est pas leur faute. Ils n’ont pas construit ça. Et je ne trouve pas ça juste d’arriver et de dire “allez tous vous faire foutre -sois d’accord ou meurs, je n’ai jamais été des vôtres”. Je veux que cet endroit soit meilleur et plus sain – ne pas passer tout mon temps à dire comme c’est nul et comment quelqu’un qui choisit d’y vivre le mérite. Et ça veut dire les prendre en compte avec bienfaisance, même quand c’est difficile.

Cette bienfaisance s’applique, bien sur, aux nombreuses, nombreuses femmes cis que je connais qui ont des bonnes intentions et qui sont un soutien, mais qui se trouvent quand même prises dans les habitudes que je décris. Les gens les plus gentils et les plus forts dans ma vie, mes meilleurs amis, sont des femmes – la plupart des femmes cis. Si tu es arrivé jusque là et que tu as l’impression que je devrais passer plus de temps à reconnaître les luttes et la frustration des femmes cis pour temporiser avec mes critiques, sache que je passe beaucoup de temps à le faire. Je pourrais écrire une centaine de pages sur comment les hommes et la masculinité m’ont endommagée moi et la femme que j’aime, mais vous pourriez jeter la pierre à internet que vous toucheriez l’une d’elle. Ces pages parlent de ce que je ne peux pas dire.

Parce que ce n’est pas rien que les mots “pas tous les hommes” soient devenus inextricablement emmêlés avec la masculinité fragiles et ses geignarderies. Ca en devient terriblement facile de séparer la perspective (largement cis-) féminine de ce que sont les hommes. Commencer une déclaration avec ces mots -”Pas tous les hommes”- c’est donner raison à quiconque veut rire du reste. Mais voilà une vérité : pas tous les hommes sont ce que tu penses qu’ils sont. Homme ne veut pas dire que ce tu penses que ça veut dire. Généraliser sévèrement et largement tout en impliquant “tu vois desquels je parle” est une paresse intellectuelle et rhétorique qui n’a pas le droit de se propager hors de ces communautés. Parce qu’on ne choisit pas qui nos mots et attitudes affectent, nous sommes obligés de les choisir en faisant attention.

Parce que j’ai été réduite à mon apparence -celle que je présente pour mon propre bien-être- par des cisféministes tellement souvent que je développe un putain de syndrome de Stockholm à être mégenrée. Ma dysmorphie est entremêlée avec mon identité. J’ai vécu avec pendant des décennies en tant que fille qui prétend être un garçon. Et plus je me rapproche de ce que j’ai toujours voulu toute ma vie, plus j’ai l’impression de jouer dans les esthétiques politiques d’un groupe de gens qui me rejettent à cause des associations qu’ils font de mon corps -un corps que je ne peux pas, finalement, beaucoup changer. Ces gens qui ne seront à l’aise que quand j’aurai dilué ces associations avec des signifiants féminins.

Comme si, peut être, en étant simplement ce que je suis -une fille dans ma tête dans un corps de garçon et des fringues de garçon- je brûlais quelque chose d’important pour eux. Quelque chose qui rend leur vie plus confortable et plus facile.

Je ne peux pas transitionner pour moi-même, bien que j’aimerais tant le pouvoir. Il n’y a rien que je puisse faire qui soulagerait davantage mes vieux problèmes sans en créer de nouveaux. Et je ne transitionnerai sûrement pas pour eux, pour être proprement dans leur système de ce à quoi une femme ressemble.

Parce que je n’ai pas choisi ce que je suis. Je serai foutue si qui que ce soit d’autre le décide.

P.S :

“ Un mec chouine confusément sur à quel point c’est duuur de grandir avec un “cerveau de fille” et comme c’est si difficile pour lui comparé à toutes ces femmes cis privilégiées. “

S’IL VOUS PLAIT, alliés cis, réalisez que les filles comme celle-là sont parmi vous et qu’elles essaient de se lier à vous par le “comment les mecs sont nuls”. Elles se disent féministes et elles commentent “yas!!!” sous le néon vagino-centrique que vous avez partagé sur facebook.

Ce que tu as envie de dire maintenant c’est “pas toutes les femmes cis”, ce qui est normal ! Juste souvenez-vous de ça quand vous entendez “pas tous les hommes”.